Sélectionner une page

STEEMAN Stanislas-André

Par Stéphane Steeman
Je me dois de vous donner un bref aperçu du début de la carrière de Stanislas-André,  » mon papa « . Né à Liège, comme vous le savez déjà, en 1908, il publia son premier conte à la Revue Sincère le 15 décembre 1923. Un conte de Saint-Nicolas. La même année, à la Noël, un autre conte paru dans un magazine parisien, léger et court vêtu, Le Sourire. Il avait quinze ans. Pendant trois ans, mon père donna au Sourire, trente-deux contes légers. Tiens, pourquoi pas un jour, un recueil de ses contes ? Anecdote : du haut de son très jeune âge, il a alla un jour à Paris chercher le montant de ses droits d’auteurs. On s’attendait à voir un auteur adulte, alors que se présenta un gamin de seize ans.
Il écrivit son premier article dans le quotidien bruxellois La Nation Belge, dirigée par Paul Neuray. Son premier reportage parut le 25 mars 1926, il était consacré à Quelques aspects du port d’Anvers. L’arrivée d’une malle congolaise.
 » L’Escaut charrie une eau grise, frangée d’écume. Des mouettes, volant très bas, écrivent dans l’air et au ras de l’eau de belles choses qu’on ne comprend pas…  »
Il n’avait que dix-huit ans. Au fil des pages des nombreux classeurs qu’il m’a laissés, des centaines d’articles, soigneusement découpés et collés, accompagnés chaque fois de leur référence. Voici quelques sujets qui témoignent des goûts éclectiques de mon père, surtout à cette époque de sa vie : Le crocodile de Maransart, La ville de Bruxelles expulse ses locataires, Il fait un peu moins froid, Vie et mort de marionnettes, La légende du chevalier sauvé par sainte Gertrude… Il signait alors  » St. « ,  » A.St.  » ou bien  » A.S.  » ou encore  » André S.  »
Nous verrons, pour la première fois  » Stanislas-André Steeman », dès 1927.
Il illustrera la plupart de ses prochains écrits dans La Nation Belge.
Il n’avait que six ans quand il commença à créer des bandes dessinées. Le dessin ? Une passion qui le poursuivra toute sa vie. Dès 1928, d’autres journaux (dont des hebdomadaires ou des mensuels) publieront du St.A. Steeman, tels L’Invalide Illustré, Le bulletin mensuel de l’U.C.B, Pim-Hebdo, Pourquoi Pas, La Gaule, Foyer…
Et toujours La Nation Belge. Le nom tout simple de STEEMAN allait enfin terminer chacun de ses écrits. Peut-on penser que le rédacteur en chef ait dit au jeune journaliste :  » Vous signerez  » Steeman  » quand vous aurez fait vos preuves  » ?
En 1929, Steeman s’attaque à la critique de livres très divers, de Maurice Leblanc à François Mauriac en passant par Edgar Wallace. La Nation Belge lui confie une nouvelle rubrique :  » Lettres d’aujourd’hui et de demain « . Il n’a pas vingt-deux ans, l’âge où il commença à affûter ses griffes… Ce n’était qu’un début prometteur.
On a peine à croire qu’un jeune homme de vingt-deux ans, qui jusqu’ici, n’avait encore écrit (seul sans Sintair) que trois romans policiers, pouvait aussi briller dans la critique  » très littéraire  » d’œuvres de François Mauriac dont il était un fervent admirateur. Ceci prouve que mon père lisait beaucoup et possédait, déjà, une culture étonnante dans tous les domaines. Culture littéraire s’entend, car en politique par exemple, il n’y entendait rien.
Révélateur aussi de découvrir que Steeman signait des critiques de livres dus à des auteurs tels qu’Albert Londres, Henri Géon, Maurice Leblanc ou encore Gus Bofa.
Autre détail sympathique : en ce temps-là, il existait une complicité entre critiques et écrivains. J’ai découvert plusieurs lettres de romanciers remerciant mon père d’avoir écrit de gentilles choses sur eux. Il semble que cette tradition courtoise se soit perdue. En critiquant des centaines d’ouvrages aussi variés que Esquisses de l’oreille par Seï la Shyonagon, poétesse japonaise ou Takata d’Aïmos de Jean Mariotti, mon père a pu réaliser, là, les seuls voyages de sa vie. Quel que soit le sujet – critiques ou reportages – ses centaines d’articles nous font penser que Steeman était déjà le  » Frégoli  » de La Nation Belge avant de devenir plus tard  » le Frégoli du roman policier « , comme l’a surnommé Jean Cocteau.
Au journal, Steeman rencontra Herman Sartini qui signera bientôt Sintair.
Tous deux lisent des romans policiers.  » Mon collègue Sintair et moi, projetâmes un jour, sans raison bien précise, d’écrire un roman feuilleton pour le journal. J’avoue que je ne lis plus ces quelques chapitres sans un certain frémissement. Je ne m’y reconnais absolument plus…  »
Sintair a des idées folles. Steeman, qui ne lui cède en rien sur le plan de l’imagination, a le sens du récit, une écriture naturellement élégante et ironique, un humour mordant et le don de  » croquer  » en quelques traits (par le crayon ou par la plume) des  » types  » pittoresques et hauts en couleurs. Ils écrivent en 1926 Le Mystère du Zoo d’Anvers. Le feuilleton remporte un grand succès parmi les lecteurs de La Nation Belge. Albert Pigasse, à la surprise des coauteurs, accepte ce roman qui paraît avec succès en 1927, dans la célèbre collection du Masque.
 » Ni Sintair, ni moi, ne nous prîmes au sérieux après ce premier succès. Nous y avons pourtant trouvé l’encouragement nécessaire pour écrire en collaboration une série de cinq romans. En 1929, s’arrête cette collaboration avec Sintair.
Paraissent alors trois romans Péril, Zéro et Le Doigt volé qu’il écrit seul, avant d’obtenir en 1931, Le Grand Prix du Roman d’Aventures avec son roman  » Six Hommes morts « . Dans le jury, entre autres, Pierre Benoît, (président) Francis Carco, Joseph Kessel, Pierre Mac Orlan. Un jury prestigieux.
C’est le triomphe !
La Gazette de Liège interviewe aussitôt Steeman le décrivant :
 » C’est un grand jeune homme élégant, beau garçon, paré de l’éclat de ses vingt-trois ans, qu’il dissimule sous une paire de grosses lunettes d’écaille posées sur le haut du nez. Il faut bien, quand on a que vingt-trois ans, se donner l’apparence d’un littérateur doctoral et sérieux. Les lunettes sont indispensables. La presse parisienne a été très gentille pour lui. Elle lui a tressé des couronnes et gracieusement s’est chargée de lui faire beaucoup de publicité. Comme il le dit lui-même très simplement :  » La presse a marché.  » Sur les boulevards, la publicité lumineuse annonce le succès de Steeman. La T.S.F. propage la nouvelle un peu partout dans le monde. Comme il le fait dire à un de ses personnages au premier chapitre de son roman :  » Le monde est à nous « .
Suivront alors trente romans, douze films tirés de ses œuvres… et puis après son départ en 1970, un Centre S.A. Steeman à Chaudfontaine, une avenue portant son nom à Braine-l’Alleud, son entrée dans le dictionnaire Larousse en 1999, une exposition au Centre Wallonie de Liège cet été 2005 et ce livre dont l’avant-propos est signé par le meilleur élève de mon papa, André-Paul Duchâteau, à qui j’ouvrais la porte du 21, val de la Cambre en 1942, quand il venait, ses écrits sous le bras, les présenter au Maître du roman policier.

Voici le seul résultat